Vincent Machenaud, une passion funambule

Resté inclassable, et incassable jusqu’à ce dimanche 30 mars 2025, Vincent Machenaud laisse derrière lui l’idée d’un journalisme hors catégorie, à vif et à verve. À la fois piquant et attachant, celui qui fut grand reporter France Football a vu sa trajectoire jalonnée de rencontres aussi riches et innombrables que les anecdotes les émaillant étaient fascinantes. Dans une maîtrise rare de la règle du hors-jeu, il dénotait par son détachement et son naturel, qu’il s’agisse de confier à Lionel Messi un énième Ballon d’or du côté de Barcelone, ou de faire parler un verbe subtil et parfois acéré au micro de Radio Stolliahc, dans l’anonymat de la rue Thénard de Sens.

Dans les lignes qui suivent, le regard d’un observateur privilégié.


Maradona, Pelé, Messi, Zidane, Ronaldo, Cruyff, Platini, Di Stefano… Si le tableau de chasse laisse rêveur, il ne reprend qu’une liste non exhaustive des fameux qui ont croisé son chemin, au gré notamment de ses neuf Mundiales couverts. Le Girondin est globe-trotteur, c’est en électron libre qu’il mène sa plume aux quatre coins de la planète, dans un dessein presque utopique du début des années quatre-vingt. Il est une espèce menacée, le journalisme de cette trempe-là, voire déjà éteint à l’heure du tout digital. De cette faune, citons le regretté et plus médiatique Didier Roustan, parti en septembre dernier. Sa toile, Machenaud l’a tissée au fil des mots, avec d’abord ceux qu’il devait produire de la nuit pour l’aube, avant le travail des imprimantes, à une époque où le « papier » avait encore une valeur physique. Sans nostalgie, il racontait le temps où les compte-rendus de match étaient rédigés entre deux trains, puis remis en mains propres au journal, faxés ou énoncés par téléphone à la rédaction. Son recrutement au sein du journal L’Équipe résultait lui aussi d’une histoire singulière, d’après son récit le fruit d’une confiance accordée par la bonne personne au bon moment. Il semblait en être ainsi, dans le feu de l’action et presque au débotté. « Le talent c’est le travail » disait Brel, alors c’est ainsi que s’est forgé le journaliste ; mais il convient de souligner chez lui une forme d’habileté émotionnelle, disons de sagacité. Cette faculté à transpercer lui ouvrait les portes de l’homme avant celles du sportif, car c’est finalement cela qui l’intéressait et qui allait donner matière au lecteur. On pouvait difficilement lui refuser une confidence dès lors que la confiance était installée. Naturellement, gare à celui qui la trahissait. Cette éthique fut l’une des explications de sa longue carrière, et ne variait pas dans la relation interpersonnelle plus intime.

Ce dimanche, Vincent Machenaud est parti tandis que les seize mille spectateurs du stade de l’Abbé-Deschamps rendaient hommage à Gérard Bourgoin, l’iconique homme à tout faire de l’AJ Auxerre. Certains verront dans cette synchronicité le parallèle sous-jacent entre deux personnalités très affirmées, lesquelles ont baigné – à leur échelle respective – dans un même écosystème footballistique. Le natif de Chailley recevait Depardieu et Castro à sa table, l’impolitiquement correct résistait à l’envahisseur, le football et ses acteurs avaient encore une certaine épaisseur. L’Yonne s’avéra être un autre de leurs dénominateurs communs, Sens devenant l’un des ports d’attache du clan Machenaud après que ce dernier ait notamment couvert la génération Cissé-Mexès. Son ancrage dans la sous-préfecture icaunaise lui faisait voir plus tard les entrailles de la politique municipale en qualité d’adjoint aux sports. Le caractère local et officiel de la charge tranchaient avec ses péripéties plus exotiques, parfois interlopes. Il avait connu Cali et le Medellín d’Escobar au début des années quatre-vingt-dix à la faveur d’un reportage sur le football colombien. Dans la narration de ses souvenirs, le frisson de rencontres potentiellement redoutables. Le numéro d’El Pibe Valderrama figurait évidemment parmi les contacts de son répertoire. En 2015, il se rendait encore au Chili pour assister à la finale de Copa América – sur ce qui ressemblait à un coup de tête ; « Il faut que je trouve des places » avait-il annoncé à la petite équipe du Lundi Sport, rendez-vous hebdomadaire des amoureux du sport sénonais dont il fut l’instigateur. Parmi eux, rassemblés autour du bienveillant Amine Hiridjee, son ami Michel Lepoix, Haekel Bekka, Elarki Kerkri, Damien Rousseaud et consorts. Ses anecdotes n’avaient pas pour velléité d’impressionner, car rapportées dans la plus grande simplicité et teintées d’une passion intacte.

Depuis 2001, le lundi soir était déjà le théâtre de ses saillies alors qu’il composait la bande d’Eugène Saccomano dans On refait le match sur RTL, émission précurseur des actuels After Foot sur RMC et L’Équipe du soir sur la chaîne éponyme. Dans le tumulte des échanges entre chroniqueurs, son propos se hissait régulièrement en mètre étalon, au moyen d’une fulgurance assenée dans le bon tempo. Éclaircissant, scindant. Parfois pinçant pour faire s’élever la vérité de la bouche de ses interlocuteurs, il savait aussi manier l’ironie pour prouver son propos. Taquin, il avait fait croire au transfert de l’international français (et local) Bacary Sagna au Paron FC à l’occasion d’un poisson d’Avril finement concocté. En parallèle, son verbe sévissait toujours dans les colonnes de L’Indépendant de l’Yonne du « président » Chaboteau. Il se montrait là aussi prompt à encourager ceux qui sauraient poursuivre son héritage, les reprenant tant sur le fond que sur la forme. Paternaliste, juste et magnanime. Y las palabras se quedarán cortas.

Si la fin du chemin est aussi brutale que sa vie fut romanesque, il aura noirci d’une passion indélébile chacun des chapitres de son existence. Alors, sachons ne pas nous résoudre à moins que cela. À ce goût pour le rêve et les autres, que rien ne doit nous empêcher de nourrir.

À Machenaud, l’exemple.

A.B.

Laisser un commentaire