La grand-messe du Ballon d’Or a rendu son verdict ce lundi 2 décembre 2019 au Théâtre du Châtelet à Paris. Pour la sixième fois de sa carrière – une première dans l’histoire -, l’Argentin Lionel Messi s’est vu remettre la distinction suprême. Pourtant, l’essentiel semble bien loin de ce nouveau record.
Dans un monde toujours plus égocentré, les récompenses individuelles sont en adéquation avec leur époque, allant bien sûr jusqu’à toucher les disciplines collectives, avec en tête celle du jeu le plus populaire. La sphère football est ainsi : passionnée, source des plus grandes joies comme des haines les plus sales. À sa surface ou dans ses entrailles, elle est le terrain propice à toutes les expressions : sportives, sociales, politiques et plus largement de nos émotions personnelles. Ce gigantesque agrégat prend sa forme la plus visible l’été (ou l’hiver selon sa position sur le globe) tous les quatre ans depuis près d’un siècle; son caractère universel le rend incontrôlable, si bien que la superpuissance américaine n’y a elle-même jamais eu la mainmise, bien consciente néanmoins de ses enjeux et retombées économiques. La mise en place d’une ligue nord-américaine n’a jamais réellement porté ses fruits (pour le moins, dans l’inconscient collectif des amoureux de la balle ronde). De là à dire que la passion n’est pas à vendre…
À la croisée des footballs
Sachons nous recentrer sur l’objet principal de la réflexion. L’attribution du Ballon d’Or – conjuguée au féminin depuis 2018 – récompense le footballeur personnifiant l’expression la plus pure du sport roi. Oui, soyons poètes. Pour ce qui va du septième art, les chefs-d’œuvre et leurs protagonistes les plus saillants sont auréolés lors d’une seule et même cérémonie. Le football la joue lui en deux temps, avec son versant pragmatique et le verdict du rectangle vert qui s’impose à toute opinion, à tout vote. Notre époque correspond à celle de la dictature du résultat, il faut gagner coûte que coûte. Le travail accompli par le sélectionneur de l’équipe de France Didier Deschamps emprunte ce chemin, au prix certes de moult critiques.
Au diable donc le charme et l’élégance, il convient de gagner pour exister et être élevé(s) au rang d’idole(s). Mais pour combien de temps ? L’histoire retiendra-t-elle l’Inter de Mourinho et la Grèce de Charistéas comme elle se souviendra de la grande Ajax ou de l’Espagne d’Andrés Iniesta ? Le débat scinde en deux le camp des passionnés. Le métal des trophées voit gravé le nom de ses vainqueurs, mais dans les esprits bien souvent, reste le souvenir de ceux qui ont su procurer cette part de rêve. Citons ces formations ayant fait dans l’irrationnel le temps d’une campagne : l’AS Monaco (de Didier Deschamps…) finaliste de la Ligue des champions en 2004 ou encore la Russie demi-finaliste de l’Euro 2008. Le football a toujours apporté ce qu’il a de plus beau par son caractère imprévisible, par ses scenarii et ses révélations (même éphémères).
Pour l’amour de Dios (et du jeu)
Au cœur du jeu, l’excentricité et l’extraordinaire sont guettés de près. À la une, ceux qui ont le mieux su faire vivre la balle s’appellent Maradona, Pelé, Cruyff, Ronaldinho Xavi .. ; quelques figures d’une liste grossièrement établie…et parmi laquelle deux noms seulement figurent au palmarès du Ballon d’Or. Parmi les absents : Pelé. Évoluant à Santos (Brésil), O rei ne pouvait prétendre à un trophée alors réservé aux joueurs des championnats européens. Plus récemment, Xavi (Hernández) s’est installé à trois reprises sur la dernière marche du podium du prestigieux classement, une mauvaise fortune imputée à sa génération (dorée). Quelques années plus tôt, le Catalan n’aurait rien eu à envier à Fabio Cannavaro (en 2006), pour ne citer que lui. Arjen Robben ou Thierry Henry pourraient aussi avoir leur mot à dire et se porter en victimes collatérales de l’hégémonie imposée par les Messi et Ronaldo depuis 2008. Deux monstres et une rivalité ne laissant que quelques miettes à leurs comparses.
Trôner en joueur clef d’une équipe ayant remporté un titre collectif majeur semblait un pré-requis suffisant pour enlever l’or. Depuis dix ans, le critère du génie et de la régularité paraissent s’être immiscés dans la liste. Avec 91 buts inscrits sur l’année civile 2012, Leo Messi éteignait les velléités d’Andrés Iniesta, pourtant vainqueur de l’Euro avec l’Espagne en Ukraine. L’année suivante, Franck Ribéry, pièce maîtresse du Bayern et vainqueur de la Ligue des champions devait s’incliner face à la saison étincelante de CR7. La même réflexion s’est posée cette saison avec les Reds Sadio Mané et Virgil van Dijk. Et si le Sénégalais avait gagné la Coupe d’Afrique des Nations en plus de la plus prestigieuse des compétitions de clubs en Europe ? Là-même, le doute aurait été permis eu égard aux statistiques stratosphériques de l’Argentin (soulier d’or européen, meilleur buteur de la Ligue des Champions) ajoutées au titre collectif de champion d’Espagne, une place dans le dernier carré de la Ligue des champions et le bronze (amer) en Copa América.
Y al final, la Pulga
Une fois encore, le football ne saurait se résoudre à une histoire de chiffres. Et si l’on s’avance à de nombreuses conclusions sur le duo argentino-portugais quant à sa place dans l’histoire de ce sport, on ne peut être qu’invité à un peu de mesure. Difficilement certes. Que restera-t-il donc du Ballon d’Or 2019 dans dix ou vingt ans ? Gardera-t-on un souvenir aussi fort de la pulga que d’El pibe de oro son prédécesseur ? Le souvenir d’un amour éternel pour le jeu, d’un gamin timide capable de faire se lever un stade de cent mille personnes chaque semaine pendant quinze ans ? Certainement. Messi rayonne comme peu voire aucun auparavant. La répétition du génie et la capacité à émouvoir aux larmes sont-ils suffisants pour clore tout débat ? Les réponses suivront demain ou dans un siècle. Soyez audacieux, enlevez à Messi ses six Ballons d’Or. Voyez ce qu’il reste quand il n’y a plus rien, car la lumière luit toujours au bout du chemin, comme au Wanda Metropolitano ce dimanche lorsque tout semblait fini.
A.B.