[Foot-ARG] Racing-Independiente, clásico de l’irrationnel

Parmi les grands duels du football argentin, le clásico d’Avellaneda est certainement ce qui se fait de mieux, au même titre qu’un Boca-River. Sur le terrain et en tribunes, Racing et Independiente prennent le même plaisir à se haïr… Leur rencontre du 9 février dernier, déjà gravée dans les mémoires, en est l’ultime illustration.

 

Quatre-vingt-dix minutes pour l’histoire du football argentin

Imaginez Geoffroy-Guichard et le Parc OL distants d’à peine une centaine de mètres, une idée bien saugrenue qui provoquerait bien des sueurs froides chez tout bon préfet gaulois qui se respecte. C’est pourtant dans ce contexte que vit Avellaneda, et plus largement la mégalopole Buenos Aires avec pas moins d’une quinzaine de clubs de première division en son sein. Et pour presque autant d’inimitiés… Après plusieurs graves incidents ayant émaillé l’histoire récente du championnat, les autorités argentines ont décrété en 2013 une interdiction générale de déplacement des supporters visiteurs. Malgré plusieurs autorisations ponctuelles pour les duels les moins sensibles, il va sans dire que l’affiche du 9 février n’allait pas déroger à la règle.

C’est dans ce contexte de tensions toujours vives que s’est donc tenu dans l’antre du Racing le deux cent onzième clásico d’Avellaneda. L’Estadio Juan Domingo Perón – el Cilindro pour les intimes – allait vivre en cette douce nuit d’été son récital le plus épique. Pour cette rencontre du championnat d’Argentine, les hinchas visitantes n’étaient donc pas invités à la fête, une fois n’est pas coutume. Néanmoins, le scénario de la rencontre ce soir-là n’aura rien de festif pour les Rojos. Maigre consolation, il s’éviteront in vivo l’une des plus grandes humiliations dans la rivalité qui les oppose au voisin, l’Acade. Et les mots sont pesés. Car dans le camp adverse, jeunes et moins jeunes allaient vivre le plus grand exploit de leurs favoris. Pour certains même, il serait à hisser au rang d’un sacre mondial de l’Albiceleste. Ce soir-là, l’inimaginable devait se produire sous le regard de 50.000 spectateurs tous acquis à la cause des hommes de Sebastián Beccacece, justement ancien mister…de l’Independiente. Rentrons dans le cliché : aucun réalisateur hollywoodien n’aurait pu penser le scénario offert par cette nuit du 9 février 2020. Certains récits ne peuvent être dictés que par un ballon rond virevoltant sur un rectangle vert, soyons-en plus que certains.

 

Le scénario qu’ils n’auraient osé rêver

Les échanges de la première mi-temps furent cordiaux, les joueurs du Racing donnant notamment la réplique aux rouges par un missile de Walter Montoya qui heurta le bois de Campaña. Alors que le retour aux vestiaires approchait,  le portier local Arias commettait l’irréparable avec une faute de main en dehors de sa surface de réparation. Une expulsion logique qui allait condamner le Racing à terminer la rencontre à dix contre onze. Du moins, le pensait-on à cet instant de la partie. Le fait de jeu refroidissait à peine les supporters de l’Academia qui reprenaient en cœur « Esta noche cueste lo que cueste, esta noche tenemos que ganar ». La victoire, coûte que coûte.

Une poignée de secondes après la reprise, une seconde fausse note attisa encore davantage la haine des hinchas pour l’homme en noir. Après Gabriel Arias, ce fut au tour de Leonardo Sigali d’être exclu. De façon plus contestable cette fois. Quarante-sixième minute de jeu : les coéquipiers de l’ex-Lyonnais Lisandro « Licha » López évoluent désormais à neuf contre onze. Les supporters du Rojo le savent : leurs protégés  ne peuvent faillir au regard de leur supériorité numérique. Comment pourraient-ils ne pas remporter ce derby ? Côté Racing, on ne pense qu’à l’exploit de garder la cage de García inviolée. La frénésie des assauts visiteurs ne calme pas l’ardeur du cylindre, les chants à la gloire des muchachos se font encore plus assourdissants.



Les neuf hommes de l’Acade encore sur le terrain sont arc-boutés dans leur propre moitié de terrain, pour ne pas dire dans leurs seize mètres. Pendant plus d’une demi-heure, le franchissement de la ligne médiane n’est réservé qu’à un ballon que les défenseurs du Racing s’emploient à dégager le plus loin possible lorsqu’ils parviennent à mettre le pied dessus. L’enchaînement d’une ou de deux passes dans le camp adverse est mission impossible. Les minutes passent et l’Independiente continue de buter sur un mur qui tourne le dos à la Guardia Imperial, le fervent noyau de l’Acade. La crainte de la défaite se lit sur leurs visages, mais le dernier rempart vient à chaque fois soulager une angoisse qui revient comme un boomerang. Incessante, invivable, intenable.

L’agacement commence à s’emparer de Lucas Pusineri, coach de l’Independiente. Le verdict de la rencontre est bien évidemment une question de vie ou de mort. Croyez-le et croyez Bill Shankly – auteur du laïus -, on aurait bien tort de ne pas exagérer… Cela, on le comprend mieux après avoir vécu l’irrationnel ; c’est ce qui arriva cette nuit après la quatre-vingt-cinquième minute. Le colisée d’Avellaneda va basculer dans l’irréel, alors que l’on entrevoit pourtant le gain du point du nul – déjà héroïque. Dans un football moderne où le physique prend rapidement le pas sur la tactique, une telle résistance est rare. Alors tant qu’ils y sont, pourquoi ne pas rêver plus « fou »… ?

 

« Aussi puissant qu’une victoire en Coupe du monde »

Pour une fois de l’autre côté du terrain, dans une forêt de joueurs rouges, des tuniques rayées de bleu et de blanc livrent leurs dernières forces dans la bataille. À droite de la surface de réparation, Darío Cvitanich, en beau diable, récupère le ballon pour le transmettre à Miranda qui laisse astucieusement passer pour Marcelo Díaz. El Cilindro retient son souffle, a-t-il le droit d’y croire ? La réponse est immédiate. Le Chilien, d’un plat du pied tout en maîtrise, inscrit le premier but de sa carrière sous les couleurs du Racing, le plus important de son épopée argentine, et peut-être même de sa carrière. L’enceinte bascule dans une folie indescriptible et forcément déraisonnable. Il faut le vivre pour le croire, les corps et les têtes ne peuvent résolument pas contenir la décharge émotionnelle engendrée par par ce but libérateur. Alors que l’adrénaline était à son paroxysme, toutes les crispations se relâchent : les cris de joie résonnent comme des appels à l’aide pour partager tout cet amour insensé, les étreintes le canalisent et les larmes expriment sa libération. « Ce n’est que du foot », vraiment ? Le Racing est en train de réaliser la plus grande prouesse de l’histoire de son clásico, voire de tous les clásicos.

Pour sceller l’exploit, les locaux vont devoir tenir encore quelques minutes, certainement les plus longues de la saison. Ils seront aidés dans cette quête par Cecilio Domínguez et Lucas Romero qui perdent tour à tour leurs nerfs. Ce sont dix-huit acteurs qui finiront la partie. Les hinchas du Racing chantent désormais les yeux humides pour aller chercher non pas un titre mais plus que cela encore, une victoire face à l’éternel rival, un succès dont on pourrait encore entendre parler à la fin du siècle. Les deux anneaux de l’estadio doivent encore patienter pendant dix longues minutes de temps additionnel avant d’exulter. La tension sur le terrain est plus que palpable, l’Independiente sait que ce ne sont pas seulement trois points qu’il laisse filer. Le Rojo vient de couvrir de honte tous ceux qui le suivent, et ce, au moins jusqu’au prochain affrontement entre les deux formations.

Final del partido. L’arbitre Patricio Loustau libère les 50.000 spectateurs qui jubilent de la même façon qu’ils l’avaient fait un quart d’heure plus tôt lorsque Marcelo Díaz crucifia Campaña. Le coup de sifflet final donne lieu à des scènes de liesse similaires à celles observées un an plus tôt quand le Racing décrocha son dix-huitième titre de champion d’Argentine. Le peuple de l’Academia ne veut pas quitter le stade, désireux de savourer jusqu’à la dernière goutte cette douce nuit de folie. Car il sait l’attente parfois nécessaire pour regoûter à une salve d’émotions au moins aussi grandiose. Pour l’amateur de ballon rond, partisan ni de l’un ou de l’autre, il se laissa emporté ce soir-là, ému par les pleurs d’enfants, les baisers d’amants, les étreintes d’amis, et les yeux rouges d’anciens qui n’avaient jamais connu pareille démence au cours de leur vie de socio.

Quelle meilleure démonstration de la passion argentine que ce clásico d’Avellaneda ? L’ivresse pour le sport roi n’est pas une légende au pays de Maradona. Et si des mots ne suffisent à expliquer ce culte déraisonnable, alors il conviendra de le vivre pour le ressentir. Là-bas plus qu’ailleurs, on ne peut pas de soigner quand on aime le football, car un amour qui vous procure l’irrationnel est forcément un amour éternel. Para siempre.

A.B.

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