[Foot-ARG] « 19 de diciembre de 1971 », inspiré d’effets réels

En 1987, l’auteur argentin Roberto Fontanarrosa (1944-2007) publie ‘Nada del otro mundo’, livre de fictions parmi lesquelles vient se glisser ‘19 de diciembre de 1971′. Son récit nous plonge dans la rivalité des ennemis de Rosario, Newell’s Old Boys et Rosario Central. « Lépreux » et « Canailles » se disputent le 19 décembre 1971 une place en finale du championnat d’Argentine. Et bien au-delà, l’honneur d’une ville, la fierté d’une génération d’hinchas. L’histoire d’hommes qui ont laissé leur passion capturer leurs rêves… et leurs pires cauchemars.

Traduction libre de l’espagnol (rioplatense)

19 décembre 1971 (par Roberto Fontanarrosa)

« Je sais ce que certains disent aujourd’hui ; qu’on est des enfoirés pour ce qu’on a fait au viejo Casale (le vieux Casale). Ça je sais, il y a toujours des gens pour parler. Mais aujourd’hui c’est facile, trop facile de parler. Il fallait être à Rosario à l’époque pour comprendre mec. Aujourd’hui, tout le monde parle pour ne rien dire.

Je sais pas si tu te souviens de Rosario les jours qui ont précédé le match. Enfin, « les jours »… ça parlait du match depuis déjà plusieurs semaines, la ville était devenue une fournaise, littéralement. Évidement, ceux qui parlent aujourd’hui sont ces enfoirés que tu voyais dans la rue gueuler et sauter comme des crétins, fêtant et hurlant leur ivresse… Et maintenant ils t’annoncent qu’ils sont quoi ? Moralistes ? Comment ils peuvent se la ramener ces enfoirés… Ils font les malins aujourd’hui, c’est tellement facile de parler… Mais si t’avais vu la ville à l’époque mec…Tu grattais une allumette et tout pétait. Dans les bars, dans la rue, partout, ça ne parlait de rien d’autre. Je t’assure, ça faisait des étincelles. Et puis tout a commencé avec l’histoire des superstitions. Ou plutôt, des maléfices.

Il faut savoir que ce n’était pas un match comme les autres mec, c’était une finale “finale”. Ça avait beau être une demi-finale, le vainqueur jouait ensuite à Rosario, certain de cogner son adversaire, quel qu’il soit. Que ce soit Central ou Newell’s, c’était foutu pour l’équipe en face. Et les lepras (supporters de Newell’s) alors ! Il fallait les voir ! Tous ces beaux parleurs qui nous les cassent avec l’histoire du vieux Casale, qu’ils s’en souviennent de ça ! Ces idiots n’ont pas souvenir des lepras à l’époque ? Ils ont oublié aujourd’hui ? Ils la ramenaient tellement qu’il fallait pouvoir les supporter, je crois même qu’ils pensaient nous en mettre une bonne. En qu’en plus de nous taper, ils marqueraient cinq fois… au Monumental, et en direct à la télévision ! Qu’ils aillent se faire foutre ! Ces trous de balle, nous en mettre cinq ? Ils l’ont bien bouffée, tiens ! Ce qu’ils ont pris ce jour-là ! Et ils l’ont encore bien profond !


« Ça avait beau être une demi-finale, le vainqueur jouait ensuite à Rosario, certain de cogner son adversaire, quel qu’il soit. Que ce soit Central ou Newell’s, c’était foutu pour l’équipe en face. »


Mais très sincèrement frangin, je te cache pas qu’ils avaient une sacrée équipe, une équipe du feu de Dieu.

Il faut le reconnaître, ils étaient beaux à voir jouer, avec un vrai style de jeu et la capacité d’étouffer l’adversaire bien comme il faut. Ils avaient Zanabria, Marito Zanabria, le Mono Obberti. Mon dieu, quel joueur le Mono Obberti ! Silva, le maçon qui venait de Lanús. Montes ! Montes en cinq ; Santamaria, le Cucurucho Santamaria… Bref, ils avaient une grosse équipe, une très grosse équipe il faut l’avouer. La lepra se voyait donc clairement gagner. Le jour du match, tu sais combien ils étaient sur la route pour Buenos Aires ? Ils devaient être des milliers, des millions : d’où pouvaient-ils sortir tous ces leprosos ? Ils étaient trois pelés et un tondu d’habitude, et là pour ce match, ils sont tous sortis de la fourmilière les enfoirés. Ils étaient tous là. Bon dieu, il fallait la voir cette route ! Donc voilà, il fallait recourir à ce qu’on pouvait. Il y a des matchs que tu ne peux pas perdre, qu’il faut gagner… ou gagner. Pas le choix. Alors si on m’avait dit de tuer ma mère, de flinguer le président Kennedy, j’en avais rien à faire mec. Il y a des matchs à ne pas perdre. Bon sang ! On allait pas se laisser emmerder par ces connards, pour qu’ils viennent ensuite te balancer leur drapeau à la face jusqu’à la fin des temps ? Pas question mon vieux ! On devait donc bien se raccrocher à quelque chose. C’est comme quand tu as un proche souffrant, tu comprends ? Ta mère, par exemple, tu serais capable d’aller à l’église pour elle, pas vrai ? Et je vais te dire, je suis pas allé à l’église ce coup-là, j’y suis pas allé car j’y ai pas pensé, sinon… je t’assure que je me serais confessé et ça aurait servi à quelque chose. Avec les gars, on s’est plutôt accrochés à cette histoire de sorcelleries, de la rue fétide (ruda macho), à l’idée d’enterrer un crapaud derrière la cage de Fenoy (gardien de Newell’s), de verser du sel devant le vestiaire de Newell’s, tous ces trucs bien connus. Bien sûr toutes les “sorcières” du quartier planchaient déjà là-dessus, on clouait des poupées portant le maillot de Newell’s avec des aiguilles, des mauvais sorts étaient commandés par téléphone ; et même ma mère, pourtant loin de tout ça, elle portait un foulard depuis une dizaine de jours, de ceux qui disaient “Pilate, Pilate, si Central ne gagne pas à River, je ne te détacherai pas”. Maman disait qu’on avait gagné grâce à elle. Pauvre maman, si elle savait pour le vieux Casale… J’allais quand même dans son sens pour ne pas la décevoir.

Mais toutes ces histoires de la rue fétide et du crapaud derrière la cage, c’étaient des pratiques très banales ; certains mecs faisaient déjà ce genre de choses. Et puis le match se jouait au Monumental ; tu vas pas enterrer un crapaud sur la piste olympique pour ensuite finir en prison avec trente condamnations desquelles Dieu lui-même ne pourra pas te sortir. On a donc commencé à se pencher sur les superstitions de chacun. J’ai le souvenir d’une conversation là-dessus, dans le bar de Pedro. On avait par exemple décidé d’aller à Buenos Aires avec la voiture du Dani ; on l’avait prise pour un match à La Plata contre Estudiantes où on avait gagné deux à zéro. J’allais bien évidemment porter le bonnet que j’avais au stade lors des derniers matchs, un bonnet qui ne m’avait jamais trahi. Je l’emmènerai ce bonnet, ce bonnet magique. Coqui, lui, il changerait sa montre de poignet, du gauche au droit. Lors d’un match – je sais plus contre qui – où on perdait à la mi-temps, il l’avait fait et on avait égalisé. Chacun avait donc fait le tour de toutes les superstitions possibles, pour faire les choses correctement et ne rien laisser au hasard. Pour te dire, on est restés environ trente minutes à se demander comment s’installer dans la tribune lors du match contre Atlanta, pour faire pareil contre les lepras. Ce con de Michi disait s’être placé derrière le Valija, et le Miguelito jurait à son tour que c’est lui qui s’y était mis… Tu vois le truc, on était allés jusqu’à étudier ça avant le match, rends-toi compte de la tournure que ça prenait à l’époque ! Et tu sais ce qui te fait faire ça mec, tu le sais ? La frousse mec, la frousse, la frousse te fait faire n’importe quoi, comme ce qu’on a fait au vieux Casale.


« Miguelito avait clairement dit qu’il se foutrait en l’air ; qu’en cas de défaite, il prendrait un flingue pour se faire sauter la cervelle »


Parce que si on perdait, ô mère, il nous aurait fallu quitter la ville mec, partir se réfugier à l’étranger. Je te jure, on aurait jamais pu revenir ici. On aurait été comme ces réfugiés cambodgiens, à la dérive sur un radeau. Je te jure que si on perdait, on prenait le “Ciudad de Rosario”, et de là direction le Paraná, tous ensemble, des millions de canallas (supporters de Rosario Central) sur le départ forcé direction Diamante, direction le Pérou, direction Cuzco. N’importe où, mais jamais on aurait pu revenir vivre ici mon vieux, avec les railleries de ces putains de leprosos… Le Miguelito avait clairement dit qu’il se foutrait en l’air ; qu’en cas de défaite, il prendrait un flingue pour se faire sauter la cervelle, et crois-moi que le Miguelito était bien capable de ça, voire pire encore, il était assez cinglé pour qu’on le croie. Ou encore, devenir prostitué ; je sais plus qui avait parlé de se travestir, en gros, de donner dans la dentelle, sortir habillé en folle du côté de l’avenue Pellegrini et ne plus jamais rentrer chez soi. Je te le dis, personne ne voulait entendre parler de cette éventualité. Le mot “défaite” était proscrit.

C’est comme parler du cancer mon gars. On te parle d’une “grosseur”, ou on te dit ‘’c’est autre chose”, ”une saloperie”, mais le crabe mon vieux, ça personne t’en parle. Voilà comment on en arrive à l’histoire du vieux Casale.

Le vieux Casale était le père du Cabezón Casale, un garçon qui allait toujours au bar et qui pendant des années est venu au stade avec nous. Mais depuis, il était parti vivre au nord, à Salta je crois ; je l’ai aperçu dans le coin y’a pas longtemps, il était de passage. C’est là qu’on s’est souvenus d’un jour où, dans la maison du Cabezón, le vieux avait dit que jamais au grand jamais il n’avait vu Central perdre contre Newell’s. Je me rappelle que ça nous avait marqués, ce type avait une bonne étoile. Au début, tu te poses quand même des questions : « Comment diable ce mec a-t-il fait pour ne jamais voir Central perdre contre Newell’s ?  Qu’a-t-il a bien pu faire ? Ce gars-là ne va jamais au stade ? ». Tu les as forcément vus perdre une fois, à moins que tu n’ailles jamais aux clásicos. J’en connais beaucoup comme ça, qui disparaissent et s’évaporent au moment des clásicos. Ou bien qui vont à Arroyito (stade de Central), mais au Parque (Newell’s), ça, jamais de la vie. Et je me souviens qu’on a interrogé le vieux là-dessus, il nous a dit que pas du tout, qu’il y avait une explication. Il y allait toujours, c’était un fana de Central je te raconte pas… Mais il s’était passé comme une série de hasards qui lui avaient fait manquer un paquet de matchs contre Newell’s, pour un tas de raisons dont je me souviens plus trop. Un coup, il était en voyage à Misiones – le vieux était commissionnaire -, la fois suivante il s’était tordu une cheville et ne pouvait plus marcher, ou bien il était grippé, il avait mal à une burne… Bref. Au final mec, le vieux n’avait jamais vu un match dans lequel les lepras nous avaient fracassés. C’était un privilégié le vieux, voire plus encore, un talisman. Car s’il y a des poissards qui te font perdre les matchs auxquels ils vont, il y en a d’autres qui, si tu les as avec toi, ton équipe gagne à tous les coups. C’est pas des conneries. Le vieux Casale était de ceux-là, de ceux qui ont du cul.


« Comment diable ce mec a-t-il fait pour ne jamais voir Central perdre contre Newell’s ? Qu’a-t-il a bien pu faire ? [..] C’était un privilégié le vieux, voire plus encore, un talisman »


On s’est alors dit : « Ce vieux doit venir au Monumental contre Newell’s. C’est pas possible autrement, il doit venir ».

Forcément, on s’est dit qu’il irait sûrement, fan de Central comme il est, canalla à la vie à la mort. Mais on a eu comme un doute, tu vois ? Parce que nous, c’est pas comme si on le voyait tous les jours le vieux. Et en prime, depuis que le Cabezón était parti travailler au nord, on n’avait plus revu son vieux, ni dans la rue, ni au stade, nulle part. Aussi, le vieux était assez âgé et devait avoir quatre-vingts balais à ce moment-là. Bah, quatre-vingts non, mais ses soixante, soixante-cinq ans, il les avait bien derrière lui.

Avec le Valija, le Colorado et le Miguelito, on s’est alors dit : « On va à la maison du vieux pour s’assurer qu’il y va, et sinon, on l’emmène ligoté ». Il était aussi probable que le vieux n’y aille pas faute de blé, ou autre… On avait déjà pensé à faire une tombola, une kermesse, quelque chose… Le vieux devait venir, il était un étendard, un chèque au porteur.

Il se passe donc qu’on va chez lui, et tu sais ce qu’il nous sort le vieux ? Qu’il a des soucis au cœur et que le médecin lui a formellement interdit d’aller au stade, voyez-vous ça… Il nous sort ça. Pas moyen qu’il vienne. Soi-disant qu’il avait fait une attaque lors de je ne sais quel match, un match de merde, où, après que le ballon ait touché le poteau, il était mort l’espace de trente minutes avant d’être sauvé, en plein milieu de la foule, sous respiration artificielle et à l’aide de massages cardiaques. Il aurait apparemment fallu un miracle pour qu’il ne casse sa pipe. Après une telle frousse, il n’était plus retourné au stade, soit depuis deux ans environ.

Deux ans qu’il était plus allé au stade le vieux ! Et faute de vouloir y aller, le médecin et la famille lui avaient aussi formellement interdit de s’y rendre. Je me demande s’ils l’empêchaient pas aussi d’écouter les matchs à la radio, ça je sais pas… Tout ça pour éviter l’infarctus ; même un pet un peu trop sonore l’aurait tué, il allait a priori aussi mal que ça… Tu lui faisais “bouh !” et c’était fini. Mais pourquoi !? Tu nous imagines là, désespérés face à ce qui s’apparentait à un présage, un avant-goût de l’enfer mec, un préavis de ce qu’ils nous mettraient à Buenos Aires mon gars. On a alors commencé à travailler le vieux, à essayer de le convaincre, à lui dire « Mais écoutez Don Casale, vous devez y aller, c’est une rencontre de prestige. Vous pétez le feu, qu’est-ce qui peut arriver à votre cœur ?! Allez Don Casale – Miguelito le taquinait – vous le ‘faites’ combien de fois par jour ? Vous êtes fort comme un taureau ». Mais rien n’y faisait, il était borné le vieux. C’était non et encore non.

On lui disait que ça allait être un jeu d’enfants, que Newell’s avait une équipe de merde et qu’il y aurait déjà trois zéro au bout de quinze minutes, que c’était une simple formalité et que le gouvernement avait décidé la victoire de Central pour faire plaisir au plus grand nombre… Bref, je sais pas la quantité de conneries qu’on a pu dire au vieux pour le convaincre. Mais rien à faire, un putain de roc le vieux. Pour couronner le tout, la femme du vieux – la mère du Cabezón – et l’une des sœurs du Cabezón rôdaient pour savoir ce qu’on pouvait bien dire au vieux, elles voyaient d’un mauvais œil notre visite. En résumé, le vieux nous a dit qu’il n’irait pas, même barjot, il savait à peine s’il pourrait résister au stress de savoir que le match se jouait, même sans l’écouter. Le vieux lisait les journaux ; il était pas si ignare et connaissait bien le contexte, ce qu’il en était de la composition des équipes, les remplaçants, l’historique des matchs, les antécédents, les maillots, les couleurs, absolument tout. Il nous a même avoué : « Ce jour-là – nous dit-il – très tôt dans la matinée, bien avant le défilé des camions et des bus bondés pour Buenos Aires, je pars dans la maison de campagne d’un de mes frères à Villa Diego ». Il ne voulait même pas entendre le bruit des klaxons le vieux. « Je vais de bonne heure chez mon frère, il s’en fout du foot, je passerai la journée là-bas, sans écouter la radio ni quoi que ce soit ». Très justement, le vieux disait qu’en restant chez lui, même enfermé dans un placard, il entendrait quelque chose, un cri, un but, il entendrait et crèverait sur place le pauvre homme. Il irait donc s’installer dans la maison de campagne de ce frère, pour rester loin de tout ça.

Voilà voilà… On est sortis de là dépités au vu la tournure que ça prenait. On était foutus, il n’y avait presque aucun doute là-dessus. Pire encore, la veille, le Valija avait reçu la visite d’une tante qui vivait à la campagne ; il s’est rappelé qu’elle était déjà venue le voir avant une défaite contre San Lorenzo. Encore un mauvais présage…


« [..] Si on perdait ce match, des milliers de gosses en souffriraient les conséquences [..] une ou deux générations de mecs bousillés, accablés face aux leprosos »


C’est là qu’on s’est mis d’accord sur l’enlèvement. On est allés au bistro et on en a parlé très sérieusement cette nuit-là. Pour Dani – qui était contre -, c’était une atrocité ; le vieux nous lâcherait sur la route, ou au stade, ça foutrait un bordel qui nous mènerait en prison. Et surtout, il s’agirait presque d’un meurtre ! Mais on n’a pas trop fait gaffe au Dani, il exagérait toujours et était un peu froussard. On était bien décidés, surtout après ce qu’avait dit le Valija, à savoir que le vieux pétait le feu. D’accord, il avait eu une attaque… Mais des types qui ont eu un infarctus et qui se baladent tranquillement dans la rue, il y en a des milliers. Et ils n’en font pas tout un foin comme ce vieux con, avec son truc de vouloir s’enfermer dans un placard, de ne pas aller au stade, ou de se laisser malmener par la famille, avec l’épouse ou l’autre, la sœur du Cabezón. D’autre part, on sait bien que les médecins sont des enfoirés… Ça se voyait que ces enfoirés voulaient faire vivre le vieux mille années de plus, pour lui prendre du blé, l’utiliser comme cobaye et lui sucer le sang. Le Miguelito nous faisait aussi remarquer que le vieux était au top, il suffisait de le voir. À presque soixante ans, d’accord c’était plus un jeunot, mais il allait plutôt bien. Il marchait, parlait, s’asseyait, peu importe… il bougeait ! Il picolait ! Il nous a même proposé du Cinzano, et il a bu son coup le vieux, je ne te parle pas d’un verre plein à ras bord, mais d’un bon petit verre. Au final, le Miguelito avait élaboré une théorie que je trouve loin d’être stupide, aujourd’hui encore. Le vieux était une canaille mec ! Une sacrée canaille qui profitait de son truc au cœur pour ne plus avoir à travailler de sa putain de vie. Avec le blabla sur son histoire de cœur, il ne travaillait plus, il était traité comme un roi – il avait sa femme et la sœur du Cabezón à son chevet. Il vivait comme un pacha le vieux. Il ne manquait de rien ! De pouvoir fumer peut-être… et encore, je me demande s’il ne fumait pas en cachette ; et puis il n’allait pas au stade, voilà, c’était tout. L’enfoiré vivait aussi bien que Caroline de Monaco ! Bref, avec ce raisonnement et les mots du Colorado, c’était tout vu.


« Il fallait kidnapper le vieux Casale. C’était ça ou attendre quinze ans, vingt ans, que la ville soit peuplée de leprosos nés après ce match »


Le Colorado nous a parlé des grands idéaux, de notre mission pour la société, de notre devoir pour les générations futures, pour les gamins. Il nous a dit que si on perdait ce match, des milliers de gosses en souffriraient les conséquences. Pour nous, ce serait sûrement dur à vivre, mais ça ne changerait rien, on avait eu notre compte et de toute façon déjà vécu les moments compliqués, les coups tordus. Mais les gamins eux, les jeunots de Central, ils auraient à vie cette cicatrice, ils seraient marqués au fer rouge, pour toujours. Les railleries que recevraient ces enfants à l’école, ces gamins-là, ça, les détruirait, ça leur pourrirait le crâne pour toujours. Soit une ou deux générations de mecs bousillés, accablés par les leprosos, effrayés de sortir dans la rue ou de se montrer en public. C’est la vérité mec, je me souviens bien de ces railleries, à l’école primaire surtout.

Je me rappelle de notre défaite 5-3 contre la lepra au Parque alors qu’on menait 2-0. Le Colorado Bertoldi qui s’était fait acheter doit encore en dépenser l’argent aujourd’hui… Pendant une semaine, je te jure que j’ai pas pu me lever du lit, je n’osais pas aller à l’école, pour ne pas avoir à supporter les railleries des lepra. Les gosses sont cons quand il s’agit de se moquer, ils sont très cruels. Tu les as pas vus démembrer des insectes, prendre une langouste et lui enlever toutes ses pattes ? Pour ces choses-là, les gamins sont impitoyables. Et ce que disait le Colorado était vrai. Tout le monde parle de la dette extérieure aujourd’hui ; et là c’était un peu ça mec, quelque chose comme la dette extérieure ; pour la connerie de quatre enculés qui ont mis en gage le pays, on doit tous payer, nous, nos enfants, et les enfants de nos enfants. Et si on devait faire quelque chose pour que ça n’arrive pas, il fallait le faire mec. Comme disait aussi le Colorado, le sarcasme des gamins de Newell’s n’était pas la seule inquiétude. Il y avait aussi le « goût » du succès. Il suffit que les gamins voient une équipe gagner pour en devenir supporter. Ils sont comme ça, écervelés, ils supportent l’équipe qui gagne. Alors imagine si Newell’s avait gagné… c’était foutu… pour sûr, les gamins devenaient fans de Newell’s. Et inutile de les emmener au stade, de discuter avec eux, de leur parler du Gitano Juarez ou du Flaco Menotti, ni de leur acheter le maillot de Central à la naissance. C’est perdu d’avance. Les gosses voient River champion, ils supportent River. Ils sont comme ça. À l’époque, c’était pas comme aujourd’hui où, quand t’arrives à les traîner au Gigante (stade de Central), les gamins tombent sur le cul ! Aussi bon que puisse être Newell’s, quand ils vont à cette porcherie de Parque, les gosses se disent « Je peux pas être supporter de ce bidonville » ; ils supportent donc Central. Tout passe par les yeux. Tu remarques maintenant que les gamins d’ici n’ont même pas vu jouer Central ou Newell’s qu’ils deviennent supporter de Central rien que pour le stade. C’est une autre époque, les gosses sont plus matérialistes, ça doit être à cause de la télévision ou de je-ne-sais-quoi, ils sont envoûtés par la grandeur des monuments.


« La O.C.A.L., une bande de mecs, plus ou moins comme le Klu-Klux-Klan [..] Je sais pas s’il faut être supporter de Central [..] mais tu dois haïr (Newell’s) plus que tu aimes Central »


C’était décidé, il fallait kidnapper le vieux Casale. C’était ça ou attendre quinze ans, vingt ans – maintenant par exemple (récit publié en 1987) – que la ville soit peuplée de leprosos nés après ce match. Crois-moi mec, Beyrouth c’est rien à côté de ce à quoi aurait ressemblé la ville aujourd’hui.

Celui qui a organisé l’opération Eichmann – comme on l’a appelée -, c’est le Colorado. On lui a donné ce nom d’après le général allemand tortionnaire qui s’est fait capturer ici par les juifs, ça te parle ? Notre idée était plus ou moins la même. Le Colorado est un mec cérébral qui a la tête bien faite et qui a tout planifié. À cette époque, le Colorado ne faisait plus partie de la O.C.A.L.. La O.C.A.L, je sais pas si tu les connais, c’est une organisation d’ici, de Rosario, qui tire son nom des initiales O.C.A.L. “Organización Canalla Anti Lepra”. C’est une bande de mecs, plus ou moins comme le Klu-Klux-Klan, qui tiennent des réunions secrètes. Je sais pas s’ils portent la capuche et tout le tralala à ces rendez-vous, ou s’ils brûlent du leproso vivant à chaque réunion. Je sais pas s’il faut être supporter de Central mais il faut sûrement que tu détestes les lepra. Tu dois les haïr plus que tu aimes Central.

Ils font des réunions, tiennent un registre des actes, imaginent des crasses à faire aux lepra, ils célèbrent les dates anniversaires de nos victoires contre eux, ils ont des hymnes. Ils sont comme ces types des francs-maçons que personne ne connaît, défilent avec des torches… Le Colorado a été viré de la O.C.A.L. car il était trop fanatique, c’est pour te dire… Mais ça reste une tête le Colorado, c’est lui qui a organisé tout l’opérationnel.

Je t’en parle car c’est du joli. Je t’en parle car c’est du joli et qui sait si ça ne sera pas publié dans Sélection du Reader’s Digest un de ces jours… On trouve la ligne de bus qui se rend à Villa Diego, là où le frère du vieux Casale avait sa maison de campagne. Depuis la maison du vieux, vers le 1400 de la rue San Juan, la seule ligne qui le laissait là-bas – si je me souviens bien – c’était le 305 qui passait par la rue San Luis. Autrement dit, le vieux devait la prendre à San Luis-Paraguay ou San Luis-Corrientes. Pas plus loin. À moins que ce couillon la prenne à Bulevar Otoño, mais il n’y avait aucune raison. On ne savait pas si le vieux prendrait le bus ou la voiture. S’il prenait la voiture, il foutait tout en l’air. Mais on avait parié qu’il prendrait le bus car il n’avait pas de voiture, et son frère non plus ; ça devait être un crève-la-faim comme lui. Tout se goupillait à merveille ; le vieux nous avait annoncé qu’il partirait assez tôt pour s’éviter un infarctus avec le bruit des klaxons, ce qu’on pouvait faire coïncider avec notre heure de départ pour le match. Ça nous aurait emmerdé qu’il parte à une heure de l’après-midi pour Villa Diego. Après ça, comment arriver à l’heure pour le match à Buenos Aires, avec le bordel sur la route, avec un bus de ville ? On aurait sûrement eu un accident sur le trajet en roulant comme des cinglés. D’autre part, mec, Villa Diego était sur le chemin pour Buenos Aires : tout était donc parfaitement ficelé, c’était imparable.

Après, il a fallu en parler aux autres gars. Convaincre le Rulo fut un jeu d’enfants, il s’en fichait et connaissait bien les dessous de l’histoire. Et puis le Colora menait le truc comme un chef, un maestro. Le plan était clair. Le Rulo, ami et fana de Central, disposait de plusieurs bus, un bon gars le Rulo. À cette époque, il avait quelques machines sur la ligne 305. Un sacré coup de cul. S’il avait fallu en trouver un autre, le changer de couleur, le repeindre, lui mettre un numéro, c’était un boulot monstre. Mais le Rulo avait deux 305 et il avait déjà imaginé aller au Monumental avec l’un d’eux le jour du match. Et même qu’il emmènerait un millier de types qui y allaient aussi. Il sortirait le bus de son service habituel, il en avait rien à foutre, il allait pas manquer ce match-là.

Le Rulo devait donc se tenir prêt, moteur en marche, garé rue España avec nous et les gars à l’intérieur. Le Miguelito faisait le guet en buvant un café, dans un bar tout proche et depuis lequel il pouvait voir la porte de la maison du vieux Casale. Il devait être posté là depuis cinq heures du matin le Miguelito, faisant mine d’être occupé tout en observant la maison du vieux. Je te jure mec, même les Tupamaros n’auraient pas monté une opération comme celle-ci. C’était merveilleux.

Dès qu’il a vu le vieux sortir avec son petit panier – qui devait garder un bout de viande ou un truc du genre -, pauvre vieux, le Miguelito a chevauché sa Vespa et fait le tour du pâté de maison pour nous prévenir. Il a monté sa moto à l’arrière du bus, derrière les sièges du fond. Puis on s’est mis en route.

On avait déjà dit à trois ou quatre gars, des perturbateurs de la barra (brava), de faire comme si de rien, de pas dire un mot et faire semblant de somnoler. Nous aussi, pour pas que le vieux nous reconnaisse, on était sur les sièges du fond, l’air endormi et le visage caché par un pull ou un manteau, comme si la lumière nous agressait.

Le début de la journée était froid et pluvieux, comme le 25 mai, l’autre jour de fête nationale. Aussi, on avait galéré pour emmener et cacher tous les drapeaux, les trompettes, les sacs avec les confettis, les thermos, tout ça. Un des gars avait pris un drapeau immense qui mesurait cinquante-deux mètres ! Cinquante-deux putain de mètres ! Un drapeau long d’une moitié de pâté de maison qui disait “Empalme Graneros est là” ; on a dû le mettre sous un siège pour pas que l’ancien le repère.

Le vieux est monté à moitié endormi, il s’est assis sur un siège à l’avant qu’on avait laissé libre exprès, histoire qu’il ne voie pas trop l’état du bus. Rulo lui a vendu un ticket et tout. Il n’y avait pas un bruit, comme si personne ne se connaissait. Le bus suivait sa route habituelle, le vieux regardait le paysage, le plus heureux du monde. On arrivait à Villa Diego, le vieux était toujours aussi tranquille. Par moments, quand on croisait une voiture avec des drapeaux sur le toit, en train de klaxonner, le vieux regardait autour de lui et bougeait la tête comme pour dire “Regardez-moi ça !”.


« Un des gars avait pris un drapeau immense qui mesurait cinquante-deux mètres ! Cinquante-deux putain de mètres ! [..] ; on a dû le mettre sous un siège pour pas que l’ancien le repère »


Ça se voyait qu’il avait envie de parler, mais personne ne voulait trop faire attention à lui, pour éviter de rentrer dans son jeu. Alors on faisait les endormis. On aurait dit que quelqu’un avait lâché un gaz soporifique dans le bus mec. Comme lorsqu’un gars meure, tu vois ? Le type s’assoupit dans sa voiture avec le moteur allumé, puis il crève à cause du monoxyde de carbone, grosso modo. Bref, on avait tous l’air sous l’effet du monoxyde de carbone. Mais quand on arrive à Villa Diego, le vieux se lève et annonce au Rulo « Au coin de la rue chef ». Et je sais plus ce que j’ai dit au Rulo, un truc comme quoi on ne pouvait pas s’arrêter ici, que la route était fermée et qu’il fallait aller un peu plus loin. Le vieux y a cru mais est resté debout à côté de la porte. Un peu plus tard, le vieux demande à nouveau « À l’angle ». Le Rulo nous a regardés, il ne savait plus quoi dire. Et là mec… tu n’imagines pas le truc ! C’est comme si on s’était tous mis d’accord. Je te jure qu’on ne s’était rien dit ! Les gars ont commencé à déplier les banderoles, à sortir trompettes et drapeaux par la fenêtre, et à gueuler « Soy canalla ! Soy canalla !* ». *(« Je suis canalla ! Je suis canalla ! »)

Ça gueulait par la fenêtre, mais pas du côté du vieux. Le pauvre vieux, il faisait une tête indescriptible ! On était tournés côté rue ; et les mecs de la barra, aussi chaotiques qu’ils sont, ils avaient tenu jusque-là sans gueuler ni faire de bordel, pour ne rien dévoiler au vieux. Mais le moment venu, ils ont sorti les drapeaux, passé les bras dehors et se sont mis à cogner les plaques sur les côtés du bus, avec le Rulo qui klaxonnait en rythme.

Tu vois ces films de cowboys où les bandits se lancent à l’assaut d’une charrette qui semble abandonnée ? Ou au mieux avec deux gamins qui la conduisent… et d’un coup t’as des milliers soldats qui sortent par les côtés en leur tirant dessus ? La bâche se soulève alors qu’ils étaient tous planqués là-dedans comme si de rien ! Bref, le bus devait ressembler à quelque chose dans le genre. Un soudain foutoir, dans un boucan de cris, de klaxons, de trompettes. Tout un barouf ! Et ce monde au bord de la route ! Depuis l’aube, sur le bas-côté de la chaussée, les gens attendaient les caravanes de supporters. C’était à pleurer tout ça, c’était éamouvant, les gens saluaient, criaient, levaient les poings. Et ici et là, un lepra paumé te balançait une pierre… Mais j’en reviens au vieux : le vieux, t’imagines pas la tête qu’il tirait. On le regardait en se disant que tout se décidait là. Soit son cœur lâchait et il passait l’arme à gauche, soit il tenait le coup. Le vieux regarda derrière, vers tous ces macaques qui sautaient et qui chantaient ; il en croyait pas ses yeux. Il s’est rassis et, je crois que jusqu’à San Nicolas, il a pas pipé un seul mot. À tel point que le Rábano – le fils de la Nancy – s’était proposé au bouche à bouche au cas où, un truc qu’on aurait forcément tous esquivé ; ça dégoûte un peu, surtout avec un vieux.

Mais je vais te la faire courte. Quand le vieux a compris qu’il n’y aurait pas d’arrangement possible, qu’il était impossible qu’on le laisse descendre du bus, il a abandonné. Littéralement. Car au début, on s’est approchés de lui et il nous a envoyés balader, il nous a dit qu’on était des irresponsables, des assassins, qu’on était inconscients, que c’était une honte… Je sais plus tout ce qu’il nous a dit. Mais après, quand on lui a dit qu’il avait la forme, qu’il était aussi vigoureux qu’un taureau, et que s’il avait supporté la surprise du bus, ça voulait dire que ce cœur pouvait tout endurer, alors il a commencé à se calmer. Le Colorado est venu lui dire qu’on avait tout planifié pour lui prouver qu’il était en parfaite santé, que même le médecin était impliqué là-dedans.


« Que quelqu’un me dise s’il l’a vu pleurer comme je l’ai vu, [..] c’était le plus beau jour de sa vie, de très loin le plus heureux de sa vie »


Et là mec, crois-moi car c’est la stricte vérité, je n’ai aucune raison d’inventer… Bien avant d’arriver à Buenos Aires, ce vieux était le plus heureux des mortels, je te le dis et je le jure sur la santé de mes gamins. Le vieux chantait, il jurait, buvait du maté, mangeait des gâteaux, il criait par la fenêtre ; et il est entré dans le stade enveloppé dans une banderole. Il n’y avait pas de mec plus heureux que lui parmi les supporters. ll est venu avec nous dans la popu (kop) et s’est tapé tout l’avant-match – qui fut interminable -, puis ensuite le match. Il l’avait mauvaise. Par moments, tu sentais qu’il aurait éclaté comme un crapaud si on l’avait piqué avec une aiguille. Je l’avais constamment à l’œil. Après le but d’Aldo (Poy), je l’ai cherché, je l’ai cherché à cause du bordel et de l’explosion de joie quand Aldo l’a mise au fond. À tel point que je sais plus où on est tombés, entre l’avalanche, les embrassades, les évanouissements et tout ça. Puis j’ai regardé vers le vieux et l’ai vu enlacé à un grand gaillard, il lui était presque grimpé dessus, en pleurs. Et là je me suis dis : si ce vieux n’est pas mort là, ça n’arrivera jamais. Il est immortel. Je pensais même plus au vieux après ça, à cause du stress, on était au bord du gouffre. C’était à se chier dessus, je te raconte même pas. C’est impossible à raconter mec, on priait, on faisait les cent pas sur place. Certains étaient assis au milieu de ce chaos car ils ne voulaient rien voir. C’était de l’attaque-défense contre nous ; en deuxième mi-temps, on n’a plus vu la balle. Et tu sais le pire, le plus terrible ? S’ils marquaient mec, ils gagnaient, c’était sûr ! Ils nous auraient battus ces enfoirés ! Ils égalisaient, et dans la prolongation, ils nous défonçaient. Ils étaient plus soudés et voulaient tout casser, ces chiens. Quelle putain de tension ! Et quel cul ce jour-là mon dieu… Je sais pas ce qu’avait le Flaco Menutti, il sortait tout. Il a tout stoppé, tu peux pas t’imaginer ce qu’il a arrêté ce jour-là, ce maigrichon qui semblait voler en éclats sur chaque centre. Il a sorti une tête piquée de Silva qu’on avait tous vue dedans mec, c’était à lui faire un cortège, à lui baiser le cul à ce flaco (maigrelet) ! Ce qu’il lui a sorti à Silva ! On a tous arrêté de respirer à ce moment-là, à cinq minutes de la fin. Je te le redis : s’ils marquaient, on était marrons dans la prolongation. Je me souviens avoir regardé derrière moi, je vois le vieux tout blanc, le visage pâle et les yeux exorbités le pauvre, mais toujours vivant.

Et maintenant je te le dis. Je te le dis et j’aimerais qu’ils me répondent tous ceux qui disent aujourd’hui qu’on a fait les cons avec le vieux Casale ce jour-là. J’aimerais qu’un de ces enfoirés me réponde s’il a vu le vieux Casale comme je l’ai vu lorsque l’arbitre a sifflé la fin du match mec. Qu’il y en ait un qui me dise si, par un putain de hasard, il a vu le vieux Casale comme je l’ai vu quand l’arbitre a sifflé la fin du match, avec le stade dans un chaos indescriptible. Je te le dis, j’aimerais que quelqu’un me dise s’il l’a vu comme moi je l’ai vu. Le bonheur sur le visage du vieux, mec ! La joie complètement dingue sur le visage de ce vieux ! Que quelqu’un me dise s’il l’a vu pleurer comme je l’ai vu, en larmes en train d’embrasser tout le monde. Je peux t’assurer que c’était le plus beau jour de sa vie, de très loin le plus heureux de sa vie. Le bonheur qu’il ressentait ce vieux, je te jure c’était quelque chose ! Et quand je l’ai vu s’écrouler par terre, comme foudroyé par un éclair – car il est resté raide le pauvre vieux -, on s’est tous un peu dit : « Et alors ? » Quelle autre mort il aurait voulu cet homme-là ? C’est comme ça que meure un canalla ! Il aurait continué à vivre ? Pourquoi donc ? Pour vivre deux ou trois ans de plus, rabougri comme il était, dans un placard, malmené par l’épouse et toute la famille ? Il valait mieux mourir comme ça mec ! Il est parti en sautant, joyeux, serrant les gars dans ses bras, à l’air libre, heureux de l’avoir bien mise à la lepra pour le reste des siècles ! Il devait mourir comme ça, et même que je l’envie mec. Je te jure, je l’envie ! Car s’il était possible de choisir sa mort, je choisirais celle-là mon frère ! Je choisirais celle-là. »

depuis Nada del otro mundo, Ediciones de la Flor (1987)
Traduction proposée par A.B., avec la contribution de A.M.
(voir texte original)


Voir aussi :

Illustrations : anotandofutbol.blogspot.com · darty.com · ole.com · periodicoelbarrio.com.ar · rionegro.com.ar · rosario3.com · wikimedia.org

Remerciements à A.U.


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