BILLET D’HUMEUR – Le projet de Super League est venu, a vu… et n’a pas vaincu. S’il faut reconnaître que la mort du ‘monstre des douze’ a certainement plus à voir avec quelques chuchotements politiciens que le bon vouloir des supporters de football, le cri de ces derniers s’est élevé contre ce que ne doit pas devenir le sport le plus populaire au monde.
« Il n’y a pas sur Terre de tribunal pour juger l’immoralité affichée » ; ces mots forts sont signés Guy Roux, vaguement connu pour avoir gravi tous les échelons de la pyramide du football français, puis brillé sur la scène européenne avec « son » A.J.Auxerre. N’allez pas proposer au sorcier bourguignon la possibilité d’atteindre les sommets autrement que par le terrain, autrement dit par l’affrontement de vingt-deux types, de chair et de sang. Comme lui, un très gros noyaux d’inconditionnels a honni le paradis artificiel aux traits d’enfer souhaité par la poignée de puissants venus d’Angleterre, d’Espagne et d’Italie. Les réactions épidermiques d’ici et d’ailleurs rassurent à l’heure où sont évoqués les « nouveaux modes de consommation du football ». On voudrait pousser là à un mariage forcé – et de déraison – entre cette passion de gosse et les attentes d’un grand public consommateur téléguidé, forcément moins connaisseur et donc moins regardant sur la qualité intrinsèque d’un « produit » qui se verrait refaçonné pour le faire gagner en spectacularité et en attractivité. Les garde-fous qui nous en préservent semblent néanmoins perdre en vigilance…
Des ‘Calais’ pour l’éternité
Parler de « produit », c’est aussi reconnaître la réalité dans laquelle baigne le football actuel, et placer sur le bas-côté la candeur supposée des pourfendeurs de la Super League. Le « non » est franc ; il sait les millions qui circulent à chaque mercato, où l’homme est relégué au rang de marchandise – parce qu’il subit cet état, en toute connaissance du système. Le refus s’est articulé autour d’une élite à péage. Si cette dernière est le modèle prévalant dans le sport professionnel nord-américain – d’où sont originaires la majorité des instigateurs de la Super League -, son application sur le Vieux Continent semble hors de propos.
« Inventé par des aristocrates anglais, popularisé auprès des classes populaires » ; les origines du football (voir The English Game) nous disent pourquoi il doit être accessible à tous, son essence résidant dans le « tout le monde peut battre tout le monde ». Mais quel chemin prenons-nous si la possibilité de cette opportunité est reniée, à terme ? S’il est très peu probable qu’un pensionnaire de troisième division de District fasse tomber le Paris-Saint-Germain, il doit néanmoins en contempler l’idée. Si les acteurs des scénarii les plus imprévisibles se voient refuser l’accès à la scène, que reste-t-il donc au spectateur pour s’émouvoir ? Le seul jeu ? Non, vraiment… Que serait David sans Goliath, que serait Goliath sans David ? Les yeux des Calaisiens scintillaient en 2000, et cette année ceux des joueurs Rumilly-Vallières qui affronteront l’A.S.Monaco en demi-finale de la Coupe de France, à la télévision, sur une chaîne du service public. À l’international, et dans d’autres proportions, la facétie conduite par Florentino Pérez prenait le contre-pied de ce football-là. Du côté des ultras, des joueurs ou autres suiveurs assidus, la levée de boucliers ne s’est pas faite attendre. Ainsi, et bien que cette impression puisse être illusoire, l’amoureux de football semble encore avoir le pouvoir de décider les contours que doit épouser son objet de fantasmes le plus « cher ».
A.B.